Tendances à la décentralisation en Europe
Après la crise économique de 2008-2009, les gouvernements infranationaux sont devenus de plus en plus un point de mire des politiques économiques et fiscales. Ils ont souvent été considérés comme des sources d'inefficacité dans les dépenses publiques, tout en étant également perçus comme des opportunités de collecte de recettes publiques. Bien que les emprunts des administrations infranationales aient été moins importants, ils ont été ciblés comme un domaine potentiel de limitation de la dette publique globale. La raison principale de ces attitudes et de ces politiques fiscales était la nature complexe des structures gouvernementales à plusieurs niveaux confrontées à des entités locales fragmentées de tailles diverses. En utilisant une approche d'économies d'échelle, ces politiques de réforme ont eu tendance à promouvoir par réflexe des municipalités plus grandes (ou la coopération intercommunale), en partie pour réduire les coûts unitaires des services mais également pour créer un réseau de gouvernements locaux de taille importante, plus facile à gérer depuis le centre.
Etant donné la nature très diverse des structures de gouvernement local dans les pays membres du CCRE, les options pour des réformes de fusion se présentent également sous de nombreuses formes. Les tendances à la décentralisation et les modèles de gouvernement infranational peuvent être catégorisés en utilisant les attributs critiques suivants : (i) la forme constitutionnelle de la région (fédérale ou unitaire) ; (ii) le nombre de niveaux de gouvernement élus ; et (iii) la taille de la population des gouvernements infranationaux. Tous ces facteurs influencent les politiques nationales et les options de réforme.
Figure 4 Population du pays et de la municipalité (gouvernement de premier niveau), 2020
- (i) Il y a trois pays fédéraux parmi les membres du CCRE (Autriche, Belgique, Allemagne), où les régions/états sont des entités constitutives de l'État national. D'un point de vue fiscal, l'Espagne devrait également être considérée comme faisant partie de ce groupe de pays puisque les Communautés autonomes, en tant qu'entités régionales, ont des pouvoirs étendus.
- (ii) Le nombre de niveaux de gouvernement infranationaux élus modifie encore ces structures constitutionnelles de base. Dans la plupart des pays à faible population, il n'existe qu'un seul niveau de gouvernement en dessous du niveau national, comme c'est le cas en Estonie, en Islande, en Lituanie, au Luxembourg, à Malte et en Slovénie. Dans deux des pays fédéraux, l'Autriche et l'Espagne, il n'existe qu'un seul gouvernement de premier niveau au sein des Länder/régions. La grande majorité des autres pays ont un niveau municipal et un niveau intermédiaire de gouvernement infranational. Dans certains pays, un statut spécial a été conféré à certaines collectivités locales (par ex., les capitales, les villes ayant des droits de comté). Les niveaux intermédiaires sont plus fragmentés, par ex. : France (départements et régions), Italie (provinces et régions), Pologne (comtés et régions), Ukraine (districts et régions) (voir également CCRE, 2022).
- (iii) La taille de la population du tout premier niveau de gouvernement infranational varie également fortement dans les pays membres du CCRE. Quatre grands types de structures de gouvernement municipal peuvent être identifiés (Figure 4). Dans les pays dont la population est inférieure à la moyenne du CCRE de 16,8 millions d'habitants, les municipalités ont également tendance à être relativement petites en nombre et inférieures à la moyenne de 25 600 habitants. Les pays figurant dans les cellules inférieures gauches de la Figure 4 sont presque tous d'Europe centrale et orientale, avec quelques pays des Balkans. Deux des pays fédéraux appartiennent également à ce groupe (Autriche, Belgique).
Parmi ces petits pays, il existe un sous-groupe avec des municipalités de plus grande taille (cellules supérieures gauches de la Figure 4). Ce groupe assez hétérogène est constitué de pays dont les municipalités fusionnées regroupent plusieurs localités et comprend : deux pays scandinaves (Danemark, Suède), des pays en transition de différentes régions (Géorgie, Lettonie, Serbie) et des pays du Sud (Grèce, Israël).
Plusieurs grands pays ont des systèmes municipaux fragmentés (cellules en bas à droite). Il s'agit de pays méditerranéens (France, Italie), de deux pays à structure fédérale (Allemagne, Espagne) et de pays en transition (Pologne, Roumanie, Ukraine). Parmi ces grands pays, seuls trois disposent de gouvernements infranationaux de premier niveau fusionnés (cellules supérieures de droite) : la Turquie, le Royaume-Uni et les Pays-Bas.
Tableau 2 Fusions municipales et regroupements territoriaux | |
CÉvolution du nombre de municipalités, 2012-2020 | |
---|---|
Ukraine | -84,6% |
Albanie | -83,6% |
Estonie | -65,0% |
Lettonie | -64,7% |
Portugal | -25,6% |
Norvège | -17,2% |
Pays-Bas | -15,8% |
Autriche | -11,1% |
Au cours de la dernière décennie, plusieurs pays du CCRE ont mis en œuvre des réformes de l’administration territoriale. Ils ont pu diminuer le nombre de gouvernements de premier niveau afin d'améliorer l'efficacité des services grâce à de plus grandes économies d'échelle. Ils ont soit encouragé les fusions de municipalités, soit mis en œuvre des réformes territoriales locales complètes (Tableau 2). Trois des pays en transition ont inversé la décentralisation territoriale extrême du début des années 1990 en créant des municipalités de grande taille (Albanie, Estonie, Lettonie). En Ukraine, une réforme complète des collectivités locales a été menée pour créer des unités territoriales plus grandes. En Autriche, la réforme territoriale de la Styrie a été menée à la fois de manière obligatoire et volontaire de 2010 à 2015. D'autres pays ont encouragé les fusions administratives volontaires (Portugal, Norvège, Serbie, Pays-Bas). Dans ces cas, le nombre d'unités gouvernementales au niveau le plus bas a diminué d'au moins un dixième au cours de la dernière décennie. L'Encadré 3 résume les réformes territoriales dans sept pays ; l'Encadré 4 présente les récentes réformes territoriales-institutionnelles en France ; et l'Encadré 5 décrit le processus de décentralisation au Portugal suite à la fusion des paroisses.
Encadré 3 - Réformes territoriales des collectivités locales de premier niveau
En Ukraine,une réforme complète de l'organisation territoriale des institutions gouvernementales et des gouvernements locaux a été mise en œuvre après 2014. Le volet de la réforme territoriale a institué une diminution radicale, réduisant environ 11 000 villes et municipalités de village à seulement 982 avant 2020, initialement sur une base volontaire, mais plus tard dans le cadre d'une étape de fusion obligatoire. Il en est résulté un réseau de 1 460 unités d'autonomie locale de premier niveau. Des réformes de décentralisation juridico-administrative et financière ont accompagné ces changements territoriaux, étendant les fonctions de service public local, transformant les relations inter-budgétaires et décentralisant de nouvelles sources de revenus propres.
En Albanie, la réforme de décentralisation de 2015 a créé des entités fonctionnelles plus grandes. Le nombre de municipalités/communes a été réduit de 373 à 61 municipalités dans le cadre d'une réforme de l’administration territoriale de grande ampleur.
En Estonie, après une longue période de fusion volontaire des municipalités et la réforme territoriale de 2016-2017, le nombre de municipalités a été réduit de 213 à 79. Ces fusions ont commencé sur une base volontaire mais ont été suivies de regroupements imposés par le gouvernement. En 2018, les gouvernements de comté ont été supprimés et leurs tâches ont été redistribuées entre le gouvernement central et les gouvernements locaux. L'assise financière des gouvernements locaux a été renforcée par une part accrue de l'impôt sur le revenu des personnes physiques ainsi que par un fonds de péréquation plus élevé et d'autres subventions.
En Lettonie, 119 gouvernements locaux ont été fusionnés en 42 nouvelles unités entre 2016 et début 2021. La période initiale volontaire de la réforme a débuté en 2016 et a été suivie d'une phase obligatoire, avec 65 fusions locales proposées par le gouvernement national. Au Portugal, les paroisses, en tant qu'entités infra-municipales, ont été fusionnées. La réforme de 2013 a réduit le nombre de paroisses de 4 260 à 3 092.
En Portugal, the parishes, as sub-municipal entities, were amalgamated. The 2013 reform reduced the number of parishes from 4 260 to 3 092.
En Autriche, l'état (Land) de Styrie avait une structure municipale très fragmentée. Lors de la réforme de 2015, le nombre de communes a été réduit de 539 à 287. Le processus a été piloté par le Land. Des incitations à la participation et des incitations financières destinées à assurer des fusions volontaires ont été proposées ; mais finalement, en raison d'une forte résistance des municipalités, la réforme structurelle a nécessité des fusions à la fois volontaires et coercitives.
En Turquie, les objectifs économiques et politiques ont poussé la réforme de 2012 à établir de nouvelles structures de gouvernance métropolitaine. Le nombre de villes métropolitaines est passé de 16 à 30 en vertu de la Loi n° 6360. Pour atteindre une efficacité économique accrue, les plus petites municipalités ont été fusionnées et leur nombre a diminué de 2 950 à 1 390. Les administrations provinciales spéciales (présidées par des gouverneurs nommés) ont été supprimées dans ces municipalités métropolitaines.
Encadré 4 - Réformes territoriales-institutionnelles en France
Les premiers efforts pour moderniser l'organisation territoriale de la France ont eu lieu de 2007 à 2012. Les objectifs étaient de déterminer une taille critique et des territoires cohérents pour les collectivités locales et leurs entités de coopération intercommunale , ainsi qu'une nouvelle répartition des compétences. Les réformes territoriales ont été mises en œuvre dans le cadre des lois de 2014 et 2015.
The new grouping of regions aimed to make them more homogeneous, to elevate their ranking to that of their European counterparts and to strengthen the effectiveness of regional economic action. The regions acquired authority over economic development strategy planning. All sub-regional documents now have to comply with the objectives defined by the Regional Council. This is noteworthy since, with the abolition of the general competence clause for the regions and the departments, the latter now have more competence over economic development, an area previously under the sole purview of the regions. In 2016, the number of metropolitan regions fell from 22 to 13.
Intermunicipal cooperation establishments (EPCIs) have a minimum demographic threshold of 15 000 inhabitants; however, in 2016, nearly 70% of them were below this threshold. Once they are resized, they implement the regional economic development strategies; it is compulsory to transfer municipal powers, such as waste management and water and sanitation. In 2017, their number was reduced by more than 40%, mainly through mergers, to 1 249 (compared to 2 049 in 2016).
The status of metropolis areas was overhauled following the voluntary and mandatory transformation of all intermunicipal cooperation establishments of more than 400 000 inhabitants into these relatively new entities; three of the metropolitan areas added have special status. Fifteen metropolises were thus created, compared to one in 2016.
Municipal mergers were also encouraged through the use of financial incentives. Nearly 1 700 municipalities merged as a result and they now number less than 35 000.
Encadré 5 - Décentralisation des compétences de l'État au Portugal
Au Portugal, le poids des dépenses des administrations locales s'élève à environ 9 % de celles de l'ensemble des administrations publiques, ce qui témoigne d'un niveau élevé de centralisation. Après une année de négociations, la Loi n° 50/2018 (16 août) a institué un nouveau cadre pour le transfert de compétences aux collectivités locales et aux entités intercommunales. Cette Loi, ainsi que les décrets et ordonnances sectoriels (« diplomas ») qui ont suivi, ont réattribué de larges compétences aux municipalités dans les domaines de l'éducation, des services de soins sociaux, de la santé, de la protection civile, de la culture, du patrimoine, du logement, des zones portuaires maritimes, de la gestion des forêts, des voies de transport et de communication, de divers services administratifs, de la sécurité incendie, du stationnement public, etc. À l'exception des services d'aide sociale et de la santé, toutes les compétences ont finalement été transférées avant avril 2022.
Une commission de décentralisation composée de représentants de tous les groupes parlementaires, du gouvernement, de l'Association nationale des municipalités portugaises et de l'Association nationale des paroisses a été créée pour suivre ces processus. Elle a également été chargée d'évaluer l'adéquation des ressources financières pour chaque domaine de compétence.
Les 278 municipalités continentales reconnaissent généralement à l'unanimité que les compétences sont mieux exercées au niveau local, et elles ont exprimé leur disponibilité et leur volonté d'en assumer de nouvelles. Toutefois, le manque de fonds, les difficultés de communication avec l'administration centrale et les contraintes administratives ont posé des problèmes à certaines municipalités à cet égard.
Les efforts de décentralisation n'ont pas été à l'abri des résistances provenant des différents pouvoirs des services déconcentrés de l'État qui retardent et entravent l'ensemble du processus. Les principaux problèmes rencontrés dans tous les domaines ont été les capacités limitées, le manque de réaction de l'administration centrale, l'accès insuffisant aux données et la rareté des informations détaillées concernant le transfert des services et des responsabilités, l'absence d'accès facile aux plates-formes informatiques et, dans certains cas, les transferts financiers tardifs et insuffisants.
Disparités régionales
La croissance économique de la dernière décennie s'est accompagnée d'une différenciation régionale croissante. La distance entre les régions de base (NUTS2) présentant la valeur la plus élevée et la plus faible du PIB par habitant a augmenté. Dans les 36 pays pour lesquels des données régionales désagrégées sont disponibles, ce ratio a augmenté, passant de 2,37 (2010) à 2,46 (2020) en moyenne.
Toutefois, le nombre de pays où la différenciation régionale a diminué est supérieur à celui des pays où ce rapport entre les régions les plus riches et les plus pauvres a augmenté (voir Figure 5). Au total, huit pays assez diversifiés présentent une différenciation accrue. Si l'on met de côté le Monténégro en tant qu'exception (son ratio de PIB par habitant dans les régions les plus riches et les plus pauvres a doublé), ce groupe comprend les pays du sud de l'Europe qui ont hérité de grandes disparités régionales, par ex. l'Italie, la Grèce et la Turquie. Les autres pays présentant une plus grande différenciation économique sont généralement ceux dont les structures régionales sont plus égales : deux pays scandinaves (Danemark, Suède), les Pays-Bas, la République tchèque et la Lituanie.
Figure 5 Différences régionales : ratio du PIB par habitant dans la région NUTS2 la plus riche et la plus pauvre, 2019, changements entre 2010 et 2019
Au cours de la dernière décennie, le poids démographique des capitales a légèrement augmenté (de 1 %) en moyenne dans les pays du CCRE. Dans les petits pays, le réseau de villes est souvent dominé par la capitale. Pour un quart des pays membres du CCRE, pour lesquels des données étaient disponibles, la part de la capitale dans la population totale représentait plus de 20 %. Comme on pouvait s'y attendre, les capitales nationales des pays aux réseaux urbains plus concentrés − ceux qui sont dominés par les capitales − ont encore augmenté leur part : Estonie, Macédoine du Nord, Portugal, Finlande. Une baisse de la concentration urbaine a caractérisé les pays dont la part de la population des capitales est plus diversifiée : Chypre, Moldavie, Slovénie.